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C’est ainsi, aussi, un audio-guide, qui offre notamment des parcours touristiques ou de ballades.
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Ecoutez Jacquou le croquant le livre de Eugène Le Roy

Une terre d’enchantement

« Un coup d’oeil sur la rivière noire et mystérieuse, du haut de la magnifique falaise, quand on sort de Domme, suffit pour qu’on emporte un souvenir d’une gratitude impérissable. Pour moi, cette rivière, ce pays appartiennent au poète Rainer Maria Rilke. Ce n’est pas plus la France que l’Autriche, ni même que l’Europe : c’est la terre d’enchantement que les poètes ont jalonnée et qu’ils ont seuls le droit de revendiquer. »

Henry Miller a ressenti ce que cette terre porte d’humanité venant du fond des ages, du tréfonds de l’émotion humaine… et l’idée même d’appartenance à une nation est inadéquate : ce sentiment porte à l’universalité. Ne sommes-nous pas, ici, « le pays de l’homme » ? Écoutez son hommage à Domme !

La vallée de la Vézère est surnommée vallée de l’Homme. La préhistoire y est présente partout, 12 sites de la Vallée de la Vézère sont inscrits au Patrimoine Mondial de l’Humanité par l’UNESCO. En fait, l’ensemble du Périgord respire l’humanité, dans sa préhistoire, très présente dans tout le Périgord Noir, et dans sa culture d’aujourd’hui, la bienveillance, l’accueil de ses habitants, et l’attention portée à la transmission. Certes l’environnement géologique était favorable ! Il a permis la conservation excellente des vestiges dans les grottes et les abris-sous-roche ; la roche blanche calcaire les a protégés des éléments de l’érosion ou humains. Mais la volonté et la persévérance y sont aussi pour beaucoup, notamment les nombreuses recherches et études qui ont alimentées nos connaissances depuis plus de 150 ans, l’entretien public du patrimoine – Sarlat est le premier site médiéval à avoir bénéficié du dispositif mis en place par Malraux ; et l’entretien « privé », celui des agriculteurs, des propriétaires de maisons, de maisons d’hôte, de gîtes…
On organise même, en Dordogne, des rencontres chamaniques ! Et divers lieux, ici par exemple, offrent au visiteur le bien-être et une dimension spirituelle authentique. 

 

 

 

Comme le dit le site de la Communauté de Communes de la Vallée de l’Homme (ce n’est pas extraordinaire pour une instance locale de porter un tel nom ?) :
« 
Cette terre d’histoire est toujours une terre vivante.
Terre d’artisanat, avec un réseau diversifié d’artisans d’art.
Terre rurale où une agriculture à taille humaine a modelé le paysage.
Terre d’innovation scientifique où les travaux archéologiques réunissent des chercheurs internationaux et terre d’innovation en terme de protection et de mise en valeur du patrimoine.
Terre d’avenir engagée dans un développement durable à travers un programme labélisé Agenda 21 France. »

Nous ajouterons volontiers un développement culturel numérique humaniste et ludique, que nous souhaitons encourager, avec le soutien de multiples acteurs locaux, pour vivre ici à la fois le patrimoine millénaire et la création d’aujourd’hui, avec le nouveaux usages et nouveaux visages de la culture… qui baigne dans le numérique, le digital… Un numérique qu’il s’agit de maîtriser, plutôt que de lui laisser submerger les esprits et les habitudes.

Mémoires d’un touriste – Stendhal 1854

« Quand Stendhal, à court d’argent, accepte un reportage dans le Sud-Ouest, il rencontre, à Bordeaux, un homme sur le point d’acheter la terre de Montaigne, « où est né cet illustre auteur. La chambre est encore ornée des fresques qu’il a vues… ». (Journal de voyage, p. 103.)  »
Tristan Savin – L’express 2011  

Stendhal comparait cette « campagne » à la Toscane

Puisque nous parlons de tourisme culturel, voici le texte de Stendhal, grand voyageur, qui le premier, en 1854, se qualifie de « touriste » dans une oeuvre littéraire. Découvrez tout un art du voyage !

Texte publié sur Wikisource

 

— Verrières, près Sceaux.

Ce n’est point par égotisme que je dis je, c’est qu’il n’y a pas d’autre moyen de raconter vite. Je suis négociant ; en parcourant la province pour mes affaires (le commerce du fer), j’ai eu l’idée d’écrire un journal.

Il n’y a presque pas de Voyages en France : c’est ce qui m’encourage à faire imprimer celui-ci. J’ai vu la province pendant quelques mois, et j’écris un livre ; mais je n’ose parler de Paris, que j’habite depuis vingt ans. Le connaître est l’étude de toute la vie, et il faut une tête bien forte pour ne pas se laisser cacher le fond des choses par la mode, qui en ce pays dispose plus que jamais de toutes les vérités.

La mode pouvait tout aussi du temps de Louis XV ; elle faisait condamner à mort le général Lally, qui n’avait d’autre tort que d’être brusque et peu aimable. De nos jours, elle jette en prison un jeune officier tout aussi coupable que le général Lally. Mais il y avait pourtant, du temps de Louis XV, une difficulté de moins pour arriver à la vérité : on n’avait pas à faire des efforts pour oublier les jolies phrases d’une vingtaine d’écrivains, gens de beaucoup de talent et payés pour mentir.

À Paris, on est assailli d’idées toutes faites sur tout ; on dirait qu’on veut, bon gré mal gré, nous éviter la peine de penser, et ne nous laisser que le plaisir de bien dire. C’est par un malheur contraire qu’on est vexé en province. On passe à côté d’un site charmant, ou d’une ruine qui peint le moyen âge d’une manière frappante ; eh bien ! il ne se trouve personne pour vous avertir qu’il y a là quelque chose de curieux à voir. Le provincial, si son pays passe pour beau, vante tout également en des termes exagérés et vides d’idées, qui copient mal l’emphase de M. de Chateaubriand. Si, au contraire, des articles de journaux ne l’ont pas averti qu’à cent pas de sa maison de campagne se trouve un paysage enchanteur, il vous répond, quand vous demandez s’il y a dans les environs quelque chose à voir : « Ah ! monsieur, qu’il serait facile de se tailler cent mille livres de rente au milieu de ces bois de haute futaie ! »

 

— Fontainebleau, le 10 avril 1837.

Enfin me voici en route. Je chemine dans une bonne calèche achetée de rencontre ; j’ai pour unique compagnie le fidèle Joseph, qui me demande respectueusement la permission de parler à monsieur, et qui m’impatiente.

De Verrières, où il y a de jolis bois, à Essones, la principale idée qui me soit apparue a été tout égoïste, et même du genre le plus plat. S’il m’arrive une autre fois de voyager dans une voiture à moi, prendre un domestique qui ne sache pas le français.

Le pays que je parcours est horriblement laid ; on ne voit à l’horizon que de grandes lignes grises et plates. Sur le premier plan, absence de toute fertilité, arbres rabougris et taillés jusqu’au vif pour avoir des fagots ; paysans pauvrement vêtus de toile bleue ; et il fait froid ! Voilà pourtant ce que nous appelons la belle France ! Je suis réduit à me dire : « Elle est belle au moral, elle a étonné le monde par ses victoires ; c’est le pays de l’univers où les hommes se rendent le moins malheureux par leur action mutuelle les uns sur les autres : » mais, il faut l’avouer, au risque de choquer le lecteur, la nature n’a pas mis une source de bonheur bien vive dans ces âmes du nord de la France.

Le sage gouvernement d’un roi homme supérieur n’autorise pas les insolences des riches envers les pauvres comme en Angleterre, ou les insolences et prétentions des prêtres, comme du temps de Charles X. Ainsi, me disais-je, en voyant Essones devant moi, voici peut-être le bourg du monde où le gouvernement fait le moins de mal aux gouvernés, et leur assure le mieux la sûreté sur la grande route, et la justice quand ils prennent envie de se chamailler entre eux. De plus, il les amuse par la garde nationale et les bonnets à poil.

Le ton des demi-manants demi-bourgeois, dont je surprends la conversation le long du chemin, est raisonnable et froid ; il a cette pointe de malice et de plaisanterie qui annonce à la fois l’absence des grands malheurs et des sensations profondes. Ce ton railleur n’existe point en Italie ; il est remplacé par le silence farouche de la passion, par son langage plein d’images, ou par la plaisanterie amère.

À Essones, je m’arrête un quart d’heure chez un de nos correspondants pour vérifier cette observation ; il croit que je m’arrête pour lui montrer qu’à ce voyage-ci j’ai une calèche. Il me donne d’excellente bière et me parle sérieusement des élections municipales. Je remonte en voiture en me demandant si l’habitude des élections, qui réellement ne commence en France que cette année, va nous obliger à faire la cour à la dernière classe du peuple comme en Amérique. En ce cas, je deviens bien vite aristocrate. Je ne veux faite la cour à personne, mais moins encore au peuple qu’au ministre.

Je me rappelle qu’au moyen âge la gorge chez les femmes n’était pas à la mode, celles qui avaient le malheur d’en avoir portaient des corsets qui la comprimaient et la dissimulaient autant que possible. Le lecteur trouve peut-être ce souvenir un peu leste : je ne prends pas ce ton par recherche et comme moyen d’esprit, Dieu m’en garde ! mais je prétends avoir la liberté du langage. J’ai cherché une périphrase pendant vingt secondes et n’ai rien trouvé de clair. Si cette liberté rend le lecteur malévole, je l’engage à fermer le livre ; car, autant je suis réservé et plat à mon comptoir et dans les réunions avec mes confrères les hommes à argent, autant je prétends être naturel et simple en écrivant ce journal le soir. Si je mentais le moins du monde, le plaisir s’envolerait et je n’écrirais plus. Quel dommage !

Notre gaieté libertine et imprudente, notre esprit français, seront-ils écrasés et anéantis par la nécessité de faire la cour à de petits artisans grossiers et fanatiques, comme à Philadelphie ?

La démocratie obtiendra-t-elle ce triomphe sur le naturel ? Le peuple n’est supérieur à la bonne compagnie que lors des grands mouvements de l’âme ; il est capable, lui, de passions généreuses. Trop souvent les gens bien élevés mettent la gloire de leur amour-propre à être un peu Robert-Macaire. Qu’est-il resté, disent-ils, aux grands personnages de la révolution qui n’ont pas su ramasser de l’argent ?

Si le gouvernement, au lieu de[3]       des gens médiocres et usés, permettait à qui se sent du talent pour la parole de réunir dans une chapelle les gens qui s’ennuient et n’ont pas d’argent pour aller au spectacle, bientôt nous serions aussi fanatiques, aussi moroses qu’on l’est à New-York : que dis-je ? vingt fois plus. Notre privilège est de tout pousser à l’excès. À Édimbourg, dans les belles conversations, les demoiselles ne parlent avec les jeunes gens que du mérite de tel ou tel prédicateur, et l’on cite des fragments de sermon. C’est pourquoi j’aime les jésuites que je haïssais tant sous Charles X. Le plus grand crime envers un peuple n’est-ce pas de lui ôter sa gaieté de tous les soirs ?

Je ne verrai point cet abrutissement de l’aimable France : il ne triomphera guère que vers 1860. Mais quel dommage que la patrie de Marot, de Montaigne et de Rabelais, perde cet esprit naturel piquant, libertin, frondeur, imprévu, ami de la bravoure et de l’imprudence ! Déjà il ne se voit plus dans la bonne compagnie, et à Paris il s’est réfugié parmi les gamins de la rue. Grand Dieu ! allons-nous devenir des Genevois ?

C’est à Essones que Napoléon fut trahi en 1814.

Avant d’arriver à Fontainebleau, il est un endroit, un seul, où le paysage mérite qu’on le regarde. C’est au moment où l’on aperçoit tout à coup la Seine qui coule à deux cents pieds au-dessous de la route. La vallée est à gauche, et formée par un coteau boisé au sommet duquel se trouve le voyageur. Mais, hélas ! il n’y a point de ces vieux ormeaux de deux siècles si respectables, comme en Angleterre. Ce malheur, qui ôte de la profondeur à la sensation donnée par les paysages, est général en France. Dès que le paysan voit un grand arbre, il songe à le vendre six louis.

La route de Paris à Essones était occupée ce matin par quelques centaines de soldats en pantalons rouges, marchant par deux, par trois, par quatre, ou se reposant étendus sous les arbres. Cela m’indigne : cette marche, comme des moutons isolés, est pitoyable. Quelle habitude à laisser prendre à des Français déjà si peu amis de l’ordre ! Vingt Cosaques auraient mis en déroute tout ce bataillon qui se rend à Fontainebleau pour garder la cour pendant le mariage de M. le duc d’Orléans.

Un peu avant Essones, je contre-passe la tête du bataillon, qui fait halte pour rallier une partie de son monde, et entrer en ville d’une façon un peu décente. Au son du tambour je vois les jeunes filles du bourg hors d’elles-mêmes de plaisir, et qui accourent sur le pas de leurs portes. Les jeunes gens forment des groupes au milieu de la rue ; tous regardent le bataillon qui se forme au bout du village vers Paris, et, comme la route est démesurément large, on l’aperçoit fort bien. Je me rappelle cet air de Grétry :

 

Rien ne plaît tant aux yeux des belles
Que le courage des guerriers !

 

Cela est admirablement vrai en France ; elles aiment le courage avantageux, imprudent, pas du tout le courage tranquille et magnanime de Turenne ou du maréchal Davoust. Tout ce qui est profond n’est ni compris ni admiré en France : Napoléon le savait bien ; de là ses affectations, ses airs de comédie qui l’eussent perdu auprès d’un public italien.

À Fontainebleau, dîné fort bien à l’hôtel de la ville de Lyon. C’est un hôtel Snog (tranquille, silencieux, à figures prévenantes), comme Box-Hill, près de Londres.

Je vais au château au bout de la rue Royale, je le trouve fermé. Rien de plus simple, on s’occupe des préparatifs de la noce. Mais autrefois j’ai fait l’inventaire de Fontainebleau ; un employé de ce temps-là me permet de jeter un coup d’œil d’ami sur la cour du Cheval-Blanc, qui doit ce nom à un modèle en plâtre du cheval de Marc-Aurèle, au Capitole, que Catherine de Médicis y avait fait placer. Une princesse italienne a toujours un fonds d’amour pour les beaux-arts. Ce modèle ne fui enlevé qu’en 1626. C’est un Italien, Sébastien Serlio de Bologne, qui dessina et bâtit cette cour eu 1529.

J’y vois, des yeux de l’âme, un groupe en bronze placé là en 1880 : c’est Napoléon qui fait ses adieux à l’armée en embrassant un vieux soldat.

Je rencontre des hussards du quatrième régiment, le régiment modèle. Les hussards sont très-fiers, parce qu’ils sont les seuls en France qui, avec le dolman rouge, puissent porter le pantalon bleu de ciel. Honneur aux chefs qui savent donner une valeur infinie à ces petites choses ! Je vois ferrer un cheval fougueux ; un hussard le fascine par le regard et le contient immobile. Un hussard selle son cheval, s’habille et fait feu en deux minutes.

On parle beaucoup d’un des plus grands personnages du régime actuel, qui répondait hier à un de ses clients qui le sollicitait :

— De grâce ! mon cher, pour le moment, ne me parlez de rien. Cette expédition de Constantine est pour moi comme l’épée d’Horatius Coclèssuspendue sur ma tête.

Puisque je ne peux entrer au château, je demande des chevaux de poste. J’aurais voulu voir certaines peintures du Primatice qu’on dit fort bien restaurées ; c’est un grand mot. Comment notre goût empesé et maniéré aurait-il pu continuer la simplicité du bon Italien ? D’ailleurs nos peintres ne savent pas faire des figures de femmes. Probablement je n’ai perdu que des haussements d’épaules.

C’est dans le petit pamphlet à la Voltaire, c’est dans les articles du Charivari, quand les auteurs sont en verve, que nous sommes inarrivables. Par exemple, la visite du roi de Naples à la Bibliothèque royale (en 1836, je crois) : Ze voudrais bien m’en aller.

Tous les gens d’esprit d’Allemagne, d’Angleterre et même d’Italie se cotiseraient ensemble, qu’ils ne pourraient faire de tels articles. Mais restaurer une fresque du Primatice ! c’est autre chose. Nous serions battus même par l’Allemagne.

Le château de Fontainebleau est extrêmement mal situé, dans un fond. Il ressemble à un dictionnaire d’architecture ; il y a de tout, mais rien n’est touchant. Les rochers de Fontainebleau sont ridicules ; ils n’ont pour eux que les exagérations qui les ont mis à la mode. Le Parisien qui n’a rien vu se figure, dans son étonnement, qu’une montagne de deux cents pieds de haut fait partie de la grande chaîne des Alpes. Le sol de la forêt est donc fort insignifiant ; mais, dans les lieux où les arbres ont quatre-vingts pieds de haut, elle est touchante et fort belle. Cette forêt a vingt-deux lieues de long et dix-huit de large. Napoléon y avait fait pratiquer trois cents lieues de routes sur lesquelles on pouvait galoper. Il croyait que les Français aimaient les rois chasseurs. Il y a deux anecdotes sur Fontainebleau, le récit de la mort de Monaldeschi par le père Lebel, qui le confessa[4], et la grossesse de l’abbesse du monastère de la Joie, racontée au petit coucher de Louis XIV par le duc d’A***, son père, qui ne se rappelait plus le nom du couvent dont sa fille était abbesse[5].

Monaldeschi connaissait le temps où il vivait et la princesse qu’il servait. L’épée d’un des trois valets qui exécutèrent la sentence de Christine se faussa sur la gorge du pauvre amant infidèle : c’est qu’il portait habituellement une cotte de mailles qui pesait neuf à dix livres.

J’aime mieux qu’il y ait un préfet de police qui quelquefois, il est vrai, fait visiter mes papiers, et ne pas être obligé de marcher toujours armé : ma vie est plus commode ; mais j’en vaux moins, j’en suis moins homme de cœur, et je pâlis un peu à l’annonce du péril.

 

— Montargis, le 11 avril.

Petite ville assez insignifiante. Elle s’est fort embellie depuis 1814, qu’elle a pu jouir des réformes introduites par Sieyès, Mirabeau, Danton et autres grands hommes qu’il est de mode de calomnier parmi les pygmées actuels. Bon souper à l’hôtel de la Poste, fort bien meublé. Dans toute cette journée, je n’ai pas rencontré un seul postillon malhonnête ; je paye à cinquante sous : plusieurs montent fort mal à cheval, ce qui me fâche. Je pensais qu’on pourrait faire une conscription de postillons si les soldats prussiens, poussés par les Russes, nous attaquent. Avant de partir, je vais voir la promenade située sur les bords du Loing et du canal de Briare ; insignifiant.

 

— Neuvy, le 12 avril.

Je viens de traverser un bien triste pays avant de descendre dans la vallée de la Loire. Je crois qu’on appelle cela le Gâtinais. Depuis Briare, on monte et descend une suite de coteaux fertiles, qui se dirigent tous vers la Loire. Il faudrait au moins, en arrivant à ce fleuve, placer la route sur la digue.

 

— Cosne, 12 avril 1837.

En approchant de la Loire, les arbres commencent à avoir des bourgeons, le pays perd cet air d’aridité profonde qui m’attristait dans le Gâtinais. Comme je traverse un gros bourg sur la Loire, j’ai soif ; l’eau que je vais chercher dans un café puant est atroce. Il faut acheter huit bouteilles carrées, comme celles de la liqueur de Turin, et les placer dans un réduit, derrière les talons de bottes du voyageur. On a ainsi du vin et de l’eau que l’on renouvelle à chaque fontaine.

Je couche à Cosne, bourg infâme et infâme auberge ; mais j’étais obligé de voir des fabriques d’ancres en fer forgé le long de la Loire. Sur le mur de ces forges, on me fait observer des marques d’inondation du fleuve, étonnantes par leur élévation.

Je vois un pont suspendu qui traverse la Loire, et qui, je ne sais pourquoi, passe pour laid dans le pays. Les Français sont drôles dans leurs idées. Peut-être que l’ingénieur qui a construit ce pont avait une cravate trop haute, ce qui lui donnait l’air suffisant ; peut-être a-t-il blessé la vanité des bourgeois de la petite ville par quelque autre tort aussi grave. Le tablier en bois d’une arche du pont est tombé un beau jour, parce qu’un pied-droit, supportant le tablier, s’est rompu, et trois personnes se sont noyées. Il fallait du fer de la Roche en Champagne ; peut-être aura-t-on pris par mégarde du fer aigre du Berry. Au reste, on ne peut prévoir les maladies du fer : tout à coup la barre de fer la mieux forgée casse net. Est-ce un effet de l’électricité ?

Ce pont, qui n’est pas à la mode, conduit à une île de la Loire. Ce fleuve est ridicule à force d’îles : une île doit être une exception chez un fleuve bien appris ; mais, pour la Loire, l’île est la règle, de façon que le fleuve, toujours divisé en deux ou trois branches, manque d’eau partout. Ce malheureux pont conduit donc à un chemin qui traverse une île dépouillée d’arbres, et qui pourrait être charmante. On prétend que ce pont a donné de l’humeur à beaucoup de gens du voisinage. Voilà le malheur de la province : prendre de l’humeur. On ne prend point d’humeur aux colonies.

Pour compléter mon idée, je suis entré chez une petite marchande épicière qui m’a vendu du raisin sec. Un paysan à la physionomie stupide, et vêtu de toile de coton bleue, passait sur le pont : l’épicière m’a dit que cet homme ne mangeait de la viande que huit fois par an ; il vit d’ordinaire avec du lait caillé. Pendant les grands travaux de la moisson, les paysans se permettent de boire de la piquette ; on fait ce breuvage en versant de l’eau sur le marc de raisin, lorsqu’il sort du pressoir ; et nous nous préférons fièrement à la Belgique et à l’Écosse !

Les nègres sont plus heureux. Ils sont bien nourris, et dansent tous les soirs avec leurs maîtresses. Ces paysans, si sobres, devraient être enchantés de passer soldats ; pas du tout : leur moral est à la hauteur de leur physique ; les plus misérables sont les plus désespérés lorsqu’ils tirent un mauvais numéro. Mais au bout de six mois, ils chantent au bivouac[6].

 

— La Charité, 13 avril.

Je traversais au grand trot la petite ville de La Charité, lorsque, pour me punir d’avoir pensé longuement ce matin aux maladies du fer, l’essieu de ma calèche casse net. C’est ma faute : je m’étais bien promis que si jamais j’avais une calèche à moi, je ferais forger sous mes yeux un bel essieu avec six barres de fer doux, de Fourvoirie.

L’immense colère de Joseph fait que je me moque de lui intérieurement, et que je n’ai point de colère. Si ce malheur m’était arrivé sur les routes désertes de ce pays maudit appelé le Gâtinais, oh ! alors, il y aurait eu de quoi jurer. Que serions-nous devenus, entourés de paysans qui vivent de lait caillé ? Comment transporter la voiture jusqu’à la forge la plus voisine ? J’examine le grain du fer de mon essieu ; il est devenu gros, apparemment qu’il sert depuis longtemps. J’examine le génie du forgeron, je suis très-content de cet homme. Je fais venir, sans mot dire, quatre bouteilles de vin dans la forge, autant qu’il y a d’ouvriers, ce qui m’attire une bienveillance générale, et que je lis dans tous les yeux. Je dirige un instant les travaux.

Par bonheur, l’auberge est excellente, Snog. Mais que faire à La Charité ? Je vais voir le cabinet de M. Grasset, homme instruit, et fort zélé pour la conservation des antiquités du moyen âge. Ou dit que le nom de La Charitéprovient de certains moines de Saint-Benoît, qui recevaient chez eux les voyageurs, ce dont je doute fort. Probablement ils recevaient les moines et les pèlerins. L’église de La Charité est immense et fort belle ; elle fut reconstruite par Philippe-Auguste en 1216. Le chœur et la façade sont les seules parties intéressantes. Je viens de passer deux heures à les examiner, et sans songer le moins du monde à mon essieu cassé et à être en colère.

La forme actuelle de cette église est celle d’un crucifix ou croix latine. La nef et les bas côtés ont été restaurés et n’ont plus de caractère ; le chœur et la façade seuls rappellent l’état des arts sous Philippe-Auguste. La plupart des arcs sont en ogive, mais on trouve quelquefois le plein cintre romain : les piliers ronds qui environnent le chœur et le séparent des bas-côtés sont romans ; c’est tout simple, ils datent de 1056. Ils présentent quelques vestiges de l’élégance de la colonne corinthienne.

Une partie de cet immense édifice a été retranchée ; ainsi, avant d’arriver à la porte actuelle de l’église, on peut remarquer à gauche, sur la place, le mur de l’ancienne nef. Il ne reste plus aujourd’hui qu’une tour de la façade, celle de gauche ; elle est du treizième siècle et fort élevée : ses fenêtres divisées en deux, géminées, sont très-jolies.

Des bas-reliefs qui périssaient attachés au pied de cette tour ont été transportés dans l’église, il y a deux ans, par les soins de M. Mérimée.

Les doigts de quelques-uns des personnages ont la même longueur que leur visage, tandis que les étoffes et les broderies sont exécutées avec une rare perfection. Les yeux des figures de grande proportion sont incrustés avec du verre rouge foncé ; quelques moulures sont si belles qu’on pourrait les prendre pour antiques.

Je suis revenu à la forge, mon essieu n’était point terminé ; j’ai pris une petite voiture et suis allé visiter les ruines de La Marche, qui autrefois fut une ville. J’ai vu des piliers avec des colonnes engagées : les angles des chapiteaux sont terminés par des têtes d’hommes ou d’animaux : tout cela est horriblement laid. Je ne me sens pas encore assez savant pour aimer le laid, et ne voir dans une colonne que l’esprit dont je puis faire preuve en en parlant.

Cette architecture de La Marche est fort curieuse ; elle remonte probablement au dixième siècle, qui, comme on sait, fut celui de la barbarie la plus profonde.

Je reviens à La Charité, mon essieu n’était point encore terminé. J’entre au café, et pour donner pâture à la curiosité des braves gens que j’y rencontre, je leur raconte que je vais à Lyon pour une faillite, et que j’ai été arrêté dans leur jolie ville par la rupture de mon essieu. Ils le savaient déjà, et que j’étais allé à La Marche. J’apprends qu’il n’y a aucune navigation entre La Charité et Orléans, et l’on me rit au nez, mais avec politesse, quand je parle de navigation avec Nantes.

Ce centre de la France est encore bien arriéré : il valait mieux, sans doute, il y a mille ans ; je veux dire, il n’était pas tellement inférieur au reste du pays. Au café, j’ai trouvé un homme important, fort curieux de deviner si je suis fonctionnaire public ou simple négociant. Je m’amuse à faire changer ses conjectures toutes les cinq minutes. Il me dit que jadis les Normands vinrent piller et brûler La Charité.

J’apprends que mon idée de ce matin sur la grande route de Briare à La Charité, si hérissée de montées et de descentes ridicules, est venue à M. Mossé, homme d’esprit et de courage, ingénieur en chef à Nevers. Il va placer la grande route le long de la Loire, ce qui met en fureur les propriétaires des maisons de La Charité qui ont l’honneur de se trouver sur la route actuelle. Ces messieurs prêtent les motifs les plus plaisants à M. Mossé, ne pouvant pas se figurer que le bien public soit un motif. Quant à eux, ils ne nommeront député que l’homme qui jurera de maintenir devant leurs maisons la route royale de Paris à Lyon. Qu’importe que le voyageur arrive vingt minutes plus tard à Lyon ?

Mon essieu ne sera prêt qu’à dix heures du soir ; je retourne à l’église, qui me plaît de plus en plus. Je fais acte de courage, je monte sur la jolie tour, du haut de laquelle je vois coucher le soleil derrière de vastes forêts ; je vois la Loire serpenter à l’infini. Je passe fort bien mon temps ; mon cicérone est homme de sens, et répond clairement à toutes mes questions. Les propriétaires du pays parlent de faire un grand trou entre cette tour et l’église ; au fond de cet escarpement on placerait la route : voilà le projet qu’on oppose à celui de l’ingénieur en chef. Sans doute, m’a dit mon cicérone, l’ingénieur en chef a été acheté par les propriétaires voisins de la Loire.

La grande et foncière différence de Paris avec une petite ville telle que La Charité, c’est qu’à Paris on voit tout à travers le journal, tandis que le bourgeois de La Charité voit par ses yeux, et de plus, examine avec une profonde curiosité ce qui se passe dans sa ville.

À Paris, la foule est-elle rassemblée au bout de la rue, ma première idée est que cette foule va salir mon pantalon blanc, et m’obliger à rentrer chez moi. Si je vois une figure un peu civilisée, je m’informe de la cause de tout ce bruit.

— C’est un voleur, me dit-on, qui vient de sauter par une fenêtre avec une pendule sous son bras.

Bon ! me dis-je, demain je verrai le détail dans la Gazette des Tribunaux.

Voilà un des grands malheurs de Paris, et bien plus, un des grands malheurs de la civilisation, un des plus sérieux obstacles à l’augmentation du bonheur des hommes par leur réunion sur un point. Cette réunion n’a d’avantage que du côté politique ; elle nuit aux arts et aux lettres : voici comment. Un bon médecin n’est plus connu par les cures qu’il fait dans la ville ; pour avoir des malades, il est obligé de faire le charlatan dans le journal. Il donne des soins à la famille du directeur de ce journal, et lui fournit le fond de l’article à sa gloire, que l’autre polit et arrange. Ainsi un homme d’un esprit aimable, accoutumé à faire des phrases coulantes, et à les couronner par un mot piquant, dispose de la réputation du médecin, du peintre, etc. N’est-ce pas le journal qui a fait la réputation de Girodet ?

Le journal, excellent, nécessaire pour les intérêts politiques, empoisonne par le charlatanisme la littérature et les beaux arts. Dès qu’un grand homme créé par le journal meurt, sa gloire meurt avec lui ; voyez Girodet : mais Prudhon, contemporain de Girodet, n’était pas apprécié, et ne possédait pas un sou pour passer le pont des Arts (je l’ai vu).

Dans les villes non sujettes au journal, à Milan, par exemple, tout le monde va voir le tableau avant de lire l’article, et le journaliste doit bien se tenir pour n’être pas ridicule en parlant d’un tableau sur lequel tout le monde a une opinion.

De la nécessité politique du journal dans les grandes villes naît la triste nécessité du charlatanisme, seule et unique religion du dix-neuvième siècle.

Quel est l’homme de mérite qui n’avoue en rougissant qu’il a eu besoin de charlatanisme pour percer ? De là ce vernis de comédie nécessaire, qui donne je ne sais quoi de faux et même de méchant aux habitudes sociales des Parisiens. Le naturel y perd un homme, les habiles s’imaginent qu’il n’a pas assez d’esprit, même pour jouer ce petit bout de comédie nécessaire.

Hélas ! oui, nécessaire. Vous aimez à avoir la tête soutenue, vous paraissez sur le boulevard avec une cravate trop haute, tout le monde dira que vous êtes insolent. Impossible de déraciner cette vérité. Mais, politiquement parlant, notre liberté n’a pas d’autre garantie que le journal. C’est par le mécanisme que je viens d’indiquer que la liberté tuera peut-être la littérature et les arts. Nous tombons dans le genre grossier, et je vois trois ou quatre causes à cette chute. Nous casserons-nous le cou ?

 

 

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